Encadré: Défis éthiques pour obtenir un consentement éclairé en RMO

En général, les codes éthiques de la recherche biomédicale - tels que ceux prescrits dans la Déclaration de Helsinki, le Code de Nuremberg et ceux adoptés par le Conseil des organisations internationales des sciences médicales - ne fournissent pas d’informations suffisantes pour guider les projets de RMO. Néanmoins, avec un protocole de recherche solide, une conception d’étude appropriée, une équipe de recherche compétente et qualifiée, et un examen rigoureux par les comités scientifiques et éthiques impliqués, les intérêts éthiques des participants et de la communauté peuvent être sauvegardés.

Parce que la RMO est menée dans des situations réelles, les chercheurs font face à un contexte socioculturel, économique et politique changeant. Hutton et al28 affirment que : « Le niveau auquel une intervention est administrée peut déterminer si le recrutement des patients se fait sur une base « d’acceptation » ou « de refus » (en Anglais ; opt-in = accepter ou opt-out = refuser), c’est-à-dire si le choix actif de la personne est « d’accepter » de participer à l’étude (la situation par défaut est : la personne ne fait pas partie de l’étude) ou bien si le choix actif est « de refuser » de participer à l’étude (la situation par défaut est : la personne fait partie de l’étude) ; et ils énoncent plus loin : « Pour les interventions effectuées au niveau des structures sanitaires, il n’est pas évident qu’on puisse raisonnablement demander, au niveau individuel, le consentement des patients, qui peuvent être affectés par les interventions des essais cliniques, pour la randomisation dans les bras d’intervention et de contrôle ».

Exemple: la circoncision masculine médicale volontaire en tant que stratégie de prévention du VIH

En 2007, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Programme commun des Nations Unies sur le VIH / sida (ONUSIDA) ont publié des recommandations sur la circoncision médicale masculine en tant que stratégie de prévention du VIH fondée sur des preuves scientifiques solides et cohérentes. Dans de nombreux contextes, cependant, il s’est avéré difficile de traduire cette recherche en politiques et en pratiques en raison de problèmes économiques, socioculturels et éthiques. En conséquence, des facteurs spécifiques doivent être pris en compte lors de la planification de la mise en oeuvre / du déploiement de la circoncision masculine volontaire en tant qu’intervention de santé publique29

Contexte : Pour qu’une intervention réussisse, il est important que les chercheurs comprennent le contexte dans lequel l’intervention sera mise en oeuvre. Etant donné que la RMO est complexe et implique de multiples parties prenantes, les décideurs politiques, les responsables de la mise en oeuvre du programme, les agents de santé, la communauté et les bénéficiaires potentiels doivent être identifiés et leurs rôles respectifs évalués. De plus, la circoncision masculine volontaire est une intervention de santé publique ayant un impact sur la dynamique culturelle et le système de santé. Par exemple, dans les communautés où la circoncision fait partie du droit de passage d’un garçon à l’âge adulte, l’introduction de la circoncision néonatale peut être difficile à mettre en oeuvre. De plus, les relations de pouvoir dans la communauté doivent être explorées. Le niveau d’organisation des services de santé et la capacité des ressources humaines existantes à assurer la circoncision en toute sécurité influenceront les décisions d’intégrer la circoncision masculine néonatale dans les services postnataux ou en tant que service autonome. Au niveau politique, les politiques et conditions existantes du pays au regard de la circoncision masculine (par exemple l’âge jusqu’auquel un enfant ne doit pas être circoncis, la participation de chirurgiens spécialisés dans la circoncision, ou les endroits désignés où la circoncision peut avoir lieu) doivent être analysées pour guider le processus de mise en oeuvre.

Enjeux éthiques : questions éthiques à la fois individuels (nouveau-nés et mineurs au-dessous de l’âge du consentement) et au niveau de la communauté qui influencent la faisabilité de l’intervention :

Que faire dans les cas où l’enfant refuse de donner son consentement mais où les parents souhaitent que la circoncision ait lieu, ou bien quand l’enfant souhaite la circoncision mais que les parents refusent de donner leur consentement ?

Que faire si la notion même d’obtention du consentement à la circoncision est culturellement absente ?

Est-ce que seules les populations à risque d’acquisition ou de transmission du VIH, telles que les camionneurs, les soldats, les travailleurs migrants, doivent être ciblées pour la circoncision ? Si oui, comment peut-on minimiser la stigmatisation qui en découle dans cette population spécifique ?

Quel est l’âge optimal auquel la circoncision doit être mise en oeuvre ?

Doit-elle être offerte uniquement aux hommes dont le test de dépistage du VIH est négatif ou étendu aux hommes vivant avec le VIH ?

Pour avoir une mise en oeuvre éthiquement adéquate de la circoncision masculine volontaire en tant que stratégie de prévention du VIH, il faut évaluer de manière exhaustive les éléments d’acceptabilité des différentes approches parmi les groupes qui pratiquent actuellement la circoncision et ceux qui ne la pratique pas.

Exemple: Améliorer la couverture du programme PTME en Afrique du Sud

Cette intervention comprenait une approche participative et basée sur l’analyse des données visant à l’amélioration de la qualité, et devait être mise en oeuvre dans un district à forte prévalence du VIH en Afrique du Sud30. Elle était conçue en trois phases : i) une évaluation participative pour renforcer les capacités des responsable de programmes locaux ; ii) une phase de rétro-information et de planification, au cours de laquelle les faiblesses du système ont été identifiées et une intervention correspondante a été élaborée ; iii) une phase de mise en oeuvre et de suivi de 12 mois, au cours de laquelle l’intervention de prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant (PTME) a été mise en oeuvre et les indicateurs de résultats associés ont été suivis. Les données ont été recueillies au moyen d’entretiens structurés avec les responsables et les conseillers, d’observation des établissements de santé, d’examen de documents et de données de routine sur la PTME. Les données ont montré d’importantes améliorations sur tous les principaux indicateurs de résultats de la PTME.

Contexte : La proposition de RMO a décrit la population de la zone d’étude, les composantes du programme de PTME, la politique actuelle de PTME, le système de santé de district en Afrique du Sud, le système de référence et les activités de base des prestataires de soins. Les documents examinés comprenaient des rapports d’évaluation de la santé par pays, des protocoles sur les soins de PTME, des directives sur la mise en oeuvre des programmes de PTME et des rapports d’enquête sur la séroprévalence du VIH. Les indicateurs de base de la PTME ont été extraits des données de routine sur la PTME dans les districts. Les parties prenantes comprenaient des responsables de niveau intermédiaire du système de santé (par exemple responsables de structures sanitaires, superviseurs des soins de santé primaires et coordonnateurs de programmes de district) et la communauté. Leurs différents rôles ont été décrits en conséquence.

Intervention : Le cadre conceptuel utilisé pour élaborer l’intervention était fondé sur une approche élargie des systèmes de santé. Les chercheurs ont en outre reconnu que les faiblesses identifiées lors de l’évaluation étaient dues à l’interaction complexe entre le manque d’information des clients et leur appréhension à révéler leur statut VIH, et les facteurs du système de santé comme le manque d’appropriation du programme PTME parmi les infirmières, le manque de clarté dans la définition des rôles et des responsabilités, le manque de connaissance du protocole, ainsi que le mauvais système d’archivage des dossiers et la médiocre continuité des soins.

Enjeux éthiques :

  • Étant donné que l’intervention fait partie du système de santé de routine, cela peut-il donner droit à un examen accéléré par le comité d’éthique ?
  • Comment minimiser les ingérences avec les soins de santé de routine ?
  • Comment et à quel niveau d’interaction fait-on une distinction entre les prestations de soins de routine et / ou la recherche ?
Étude de cas 3: Facteurs contextuels menant à la persistance du paludisme dans le centre du Viet Nam

Contexte : La persistance du paludisme au Viet Nam est liée à la complexité du système de santé, et des conditions socioculturelles, économiques et environnementales. La mise en place du Programme National de Lutte contre le Paludisme avec une stratégie de distribution gratuite de moustiquaires, ainsi que le diagnostic et le traitement gratuits des cas confirmés, a considérablement réduit le taux d’incidence du paludisme de 1,2 million en 1991 à 185 529 en 2002. Cependant, malgré ces efforts, la province centrale de Quang Tri - avec des populations minoritaires pauvres, peu instruites et culturellement diverses - a l’une des charges de paludisme les plus élevées du pays. Une étude visant à renforcer la lutte contre le paludisme visait à déterminer comment le système de santé et les facteurs communautaires sont liés à la persistance du paludisme. Une équipe multidisciplinaire a mené l’étude de mars 2004 à avril 2005. Une approche fondée sur des méthodes mixtes (qualitatives et quantitatives) a été utilisée dans deux des districts les plus touchés par le paludisme. Au stade formatif, des approches qualitatives ont été utilisées pour informer la partie quantitative ultérieure de l’étude. Des entretiens semi-structurés et des discussions de groupe ont été menés avec des prestataires de soins, des chefs de village et des villageois, choisis à dessein, pour explorer les convictions, les attitudes, la connaissance, les comportements de recours aux services de santé et les circonstances pertinentes pour l’exposition et le contrôle du paludisme. Une enquête sur les connaissances, attitudes et pratiques (CAP/ en anglais : knowledge attitude and practices ou KAP) a été menée à la phase d’évaluation, en présence des agents de santé villageois (ASV) et des membres de la communauté. Des listes de contrôle ont été utilisées pour évaluer la visibilité et l’état des directives de traitement du paludisme, la qualité de la microscopie, ainsi que la qualité des moustiquaires (lors des visites à domicile de l’enquête CAP). Pour déterminer l’utilisation réelle de moustiquaires, des visites nocturnes impromptues ont également été effectuées dans les foyers.

Résultats : Les principales lacunes au niveau des établissements de santé étaient le manque de personnel, le manque de qualification du personnel, le manque de formation continue, les directives de traitement inaccessibles et le manque d’équipement et de matériel. Au niveau communautaire, des facteurs socio-économiques et culturels ont entravé l’accès aux interventions et leur utilisation efficace. Bien que le diagnostic et le traitement du paludisme soient gratuits, les patients ne pouvaient pas payer les coûts indirects correspondants, ceci a souvent conduit à des décharges précoces par les patients eux-mêmes et à l’impossibilité d’honorer les rendez-vous ultérieurs. En outre, bien que les moustiquaires soient fournies gratuitement, l’objectif de 80% de couverture (une moustiquaire pour deux personnes) n’a pas été atteint en raison des normes culturelles liées au sommeil, ainsi que du faible niveau d’instruction et de la pauvreté. Il est typique que les hommes aillent dormir chez leurs voisins et pourtant la majorité des maisons n’avaient pas de moustiquaire de rechange pour les invités. Les risques d’exposition étaient également augmentés en raison de la forte mobilité, qui est générée par des facteurs culturels et économiques. Alors que l’accès géographique aux services de santé était pris en charge par des agents de santé communautaires (ASC), beaucoup d’entre eux avaient une formation insuffisante, ce qui affectait grandement leur capacité à faire face à toutes les tâches prévues. En outre, en raison de retards dans le déploiement des nouvelles directives pour certains des médicaments inclus dans les trousses à pharmacie, certains ASC n’ont pas suivi les directives de traitement prescrites. Des barrières linguistiques et la méfiance entre les minorités ethniques de l’Ouest de Quang Tri et les prestataires de services ont également été signalées, ce qui a peut-être contribué au manque de réactivité de la communauté aux conseils médicaux. L’inaccessibilité géographique due au mauvais état des routes et le manque de téléphones figuraient parmi les obstacles contextuels identifiés.

Conclusion : Des lacunes ont été identifiées tout au long du continuum de prestation de soins depuis la structure sanitaire jusqu’au niveau communautaire. Ces observations ont servi de base à l’intervention proposée.

Enseignements : Une analyse complète du contexte est essentielle pour l’efficacité et le succès final de toute intervention proposée.

Source: Morrow M. et al. Pathways to malaria persistence in remote central Vietnam: a mixed-method study of health care and the community. BMC Public Health. 2009; 9:85.